Passage d’El Niño: un test de résilience? Expériences de plantation d’arbres dans une zone semi-aride de Madagascar

Toutes les images sont fournies par Tahina Roland Frédéric.

Depuis fin 2023, Madagascar, un pays déjà vulnérable au changement climatique, subit les effets d’El Niño. Ce phénomène perturbe les schémas météorologiques mondiaux, entraînant des conditions climatiques extrêmes dans de nombreuses régions.

Au début de cette saison chaude et humide 2023-2024, la Direction Générale de la Météorologie de Madagascar prévoyait des températures moyennes plus élevées que la normale dans toutes les régions de l’île à cause d’El Niño. Cependant, les précipitations varient selon les régions ; certaines parties du pays connaîtront des pluies plus abondantes que d’habitude, tandis que d’autres, comme la région Menabe, en recevront moins.

Ces prévisions ont été confirmées sur le terrain, notamment dans la région de Menabe, située dans le centre-ouest de Madagascar. Cette région est déjà menacée par la désertification en raison de la déforestation de ses forêts sèches par l’agriculture sur brûlis et des pratiques agricoles qui conduisent à l’épuisement des sols, notamment la monoculture intensive d’arachides sur de vastes terrains dénudés. 

Face à cette réalité, notre association, Taniala Regenerative Camp, a établi son premier site pilote de régénération des sols au village de Lambokely, à  Menabe. Pour nous, l’équation est simple : un sol dépourvu de matière organique équivaut à un désert. Ainsi, pour lutter contre la désertification, notre rôle est de fournir de la matière organique au sol. Pour ce faire, nous misons sur la plantation dense et diversifiée d’arbres, en nous inspirant des principes de l’agroforesterie régénérative que nous promouvons.

À Madagascar, la période de plantation d’arbres se déroule généralement pendant la saison chaude et humide qui s’étend de novembre à mars. Cependant, la plantation d’arbres dans une zone semi-aride comme Lambokely est confrontée à plusieurs défis, lesquels sont intensifiés pendant El Niño.

Les premières pluies surviennent généralement vers la fin de décembre, janvier est le mois le plus pluvieux suivi d’une diminution des précipitations en février. Par conséquent, janvier est le moment idéal pour commencer la plantation d’arbres, afin que les jeunes plants puissent bénéficier de suffisamment d’eau pour survivre, croître et résister à la saison sèche suivante.

Le premier prérequis pour réussir la plantation d’arbres dans de telles conditions est de choisir les espèces adaptées à l’ environnement local. Dans notre camp, nous avons cultivé en pépinière 10 000 jeunes plants d’arbres issus de 30 espèces différentes, sélectionnées pour leur résistance à la chaleur intense et à l’aridité, des caractéristiques qui seront testées sur notre site.

Cette année, les précipitations ont été particulièrement incertaines sur le terrain. Même en janvier, les pluies ont été irrégulières et discontinues, pouvant parfois ne pas se manifester pendant plus de six jours, ce qui entraîne un assèchement superficiel du sol, particulièrement préjudiciable pour les jeunes arbres confrontés à la chaleur accablante.

La plantation de nombreux arbres nécessite une main-d’œuvre importante pour être réalisée en temps voulu, c’est-à-dire pendant les rares périodes de pluie en zone semi-aride. Dans notre cas, les membres de la communauté locale affiliés à notre association participent aux activités de plantation. Cependant, leur disponibilité est limitée, car ils doivent également s’occuper de leurs cultures d’arachides, leur principale source de revenus annuelle, dès les premières pluies.

Pour accélérer les opérations de plantation et éviter que les gens travaillent sous un soleil brûlant, nous avons investi dans une tarière thermique pour creuser les trous. Les plantations sont effectuées en fin d’après-midi pour éviter d’exposer les jeunes plants à la chaleur matinale, limitant ainsi leur stress pendant la transplantation. Cela permet aussi aux membres de la communauté de se consacrer à leurs activités agricoles le matin.

Notre parcelle de jardin-forêt de démonstration, âgée de deux ans, semble avoir surmonté ces défis avec succès. Elle est devenue un écosystème florissant, où le sol est couvert de matière organique provenant des arbres et des autres plantes cultivées à cet effet. Malgré l’incertitude des pluies, le sol reste humide, meuble et enrichi en matière organique, favorisant la croissance des arbres nouvellement plantés et des cultures dans les interlignes des arbres. 

Notre jardin-forêt démontre un modèle prometteur de système à la fois régénératif et résilient. Il est crucial de s’en inspirer pour relever les défis climatiques et environnementaux.

Certes, l’agriculture et la plantation d’arbres en zone semi-aride présentent des défis, mais il est essentiel de leur faire face. Cette adaptation nous permet d’apprendre et d’expérimenter la résilience, nous préparant ainsi à d’éventuelles épreuves à venir dans un climat mondial de plus en plus incertain. Considérons El Niño comme un test de résilience, une opportunité pour orienter nos pratiques et systèmes agricoles vers des approches qui renforcent la résilience en améliorant la santé des sols. Sommes-nous prêts à tirer les leçons de ce test de résilience?

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