Sur le chemin de la résilience avec les baobabs

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Sur le chemin de la résilience avec les baobabs

Par Tahina Roland Frédéric, « Restoration Steward » des Terres Arides 2023

Entassés dans une Renault Super Goélette, le taxi-brousse local, nous empruntons la Route Nationale N° 8 en direction du nord de Morondava. Sur notre trajet, un paysage de désolation s’offre à nous. Sous la chaleur accablante, nous avons ouvert les vitres et la poussière rouge s’engouffre dans l’habitacle. Après 80 km et 4 longues heures de route, nous arrivons à Lambokely, ma destination. J’ai sous les yeux un paysage de carte postale où le village semble être peint sur un fond de « forêt de baobabs ».

Lambokely est un village de l’aire protégée Menabe-Antimena située au moyen-ouest de Madagascar, la plus grande île de l’Océan Indien, au large de la côte sud-est de l’Afrique. Ce village a vu le jour récemment et son expansion a été fulgurante. En effet, Lambokely est un village d’accueil, sa création est liée aux récentes vagues de migration interne des communautés venant de l’extrême Sud de Madagascar. Ces communautés fuient leur village d’origine à cause de la sécheresse et de la famine qui l’accompagne. Ils arrivent dans la zone Menabe-Antimena à la recherche de terres fertiles et de travail.

La route conduisant à Lambokely passe au pied de « l’Allée des Baobabs » mondialement connue; les baobabs apparaissent tels les piliers naturels d’une porte qui s’ouvre sur le pays des baobabs. Photo: Tahina Roland Frédéric
Taxi-brousse « Renault Super Goélette » seul moyen de transport commun assurant le trajet de Morondava vers le village de Lambokely. Photo: Tahina Roland Frédéric
En saison sèche la route nationale n°8 qui mène au village de Lambokely est très poussiéreuse. Photo: Tahina Roland Frédéric
Habitations de la communauté issue de la migration dans le village de Lambokely. Photo: Tahina Roland Frédéric
Autrefois le village de Lambokely était entouré de forêt sèche caducifoliée. Photo: Tahina Roland Frédéric

À mon arrivée, je suis accueilli par Bendray. Bendray Zoemana est un « ranger », il est le leader de l’équipe de patrouille communautaire de son village. En 2020, Bendray a été reconnu « héros de la conservation » par l’Ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Madagascar. Il me montre fièrement le certificat de félicitations qu’il a reçu, signé par l’ambassadeur, soigneusement accroché au mur de sa cabane. Bendray est un ami de longue date avec qui j’ai travaillé dans un projet de renforcement du système de patrouille communautaire dans la forêt protégée de Menabe-Antimena.

Je ne cesse de lui parler de « la forêt de baobabs » que j’ai vue, si bien qu’il me propose de me la faire découvrir sans plus attendre. Nous voici en route. Plus nous nous approchons, plus je me rends compte que ce que j’ai pensé être une forêt n’en est pas une. Il ne s’agit que d’un groupement de baobabs très éloignés les uns des autres.

Bendray m’apprend qu’il y a moins de 10 ans, il y avait une véritable forêt sèche avec divers arbres et d’autres végétaux qui poussaient entre les baobabs et que ces « arbres-bouteilles » sont les seuls survivants. La forêt a été brûlée pour faire place à l’agriculture. Ces baobabs en sont les seuls rescapés, car leur tronc gorgé d’eau leur a permis de résister aux feux répétitifs. Ils restent debout, marqués par les stigmates des feux, car les paysans n’ont pas pris la peine de les couper. Bendray m’explique que dans cette forêt sèche vivaient de nombreux animaux endémiques tels que le microcèbe de Madame Berthe, la tortue à queue plate, le rat sauteur géant et la mangouste à rayures étroites. Ces espèces sont actuellement classées sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’IUCN.

Bendray (accroupi sur la photo) et son équipe de patrouille forestière villageoise. Photo: Global Forest Watch
Ma rencontre avec « la forêt de baobabs » en compagnie de Bendray. Photo: Tahina Roland Frédéric
Parcelle de forêt naturelle défrichée puis brûlée pour la culture de maïs. Photo: Tahina Roland Frédéric
Des baobabs, ces seigneurs de la forêt primaire, rescapés des feux. Photo: Tahina Roland Frédéric
Champ de culture des villageois de Lambokely en saison de pluie. Photo: Tahina Roland Frédéric

Nous voici maintenant près des baobabs. Ils me paraissent immenses. En marchant au milieu d’eux, j’ai l’impression d’être dans une « cathédrale naturelle », leurs troncs immenses et solides me font penser à des colonnes qui relient la terre et le ciel. J’attire l’attention de Bendray sur le fait que sur les 8 espèces de baobabs qui existent dans le monde, 6 sont endémiques de Madagascar. Ils sont donc uniques et représentent un trésor naturel pour Madagascar et pour toute l’humanité. Malheureusement, certains de ces baobabs sont en danger d’extinction et figurent eux aussi sur la liste IUCN.

Après avoir longuement admiré les branches des baobabs qui font penser à des racines, mon regard se tourne vers le sol. Un sol presque nu, aride et sableux, sur lequel je peux reconnaître quelques résidus secs des cultures de la saison précédente et des vestiges d’arbres brûlés de l’ancienne forêt. En faisant un petit trou dans le sol pour tenter d’observer sa structure, je fais part de ma pensée à Bendray : « Sais-tu que nous avons beaucoup à apprendre de ces baobabs ? Imagine que les baobabs aient eux aussi des pieds, qu’auraient-ils fait en voyant les défrichements et feux de forêt sévissant sur leur zone ? ». Bendray me regarde avec des yeux pétillants, il a compris à quoi je faisais allusion. Je poursuis en précisant que si ces baobabs avaient des pieds, ils auraient migré eux aussi tout comme nos grands-parents et la majorité des habitants du village. Mais ces géants n’ont pas de pieds et malgré la dégradation de leur écosystème et les pressions qu’ils subissent, ils survivent, pour le moment. Ces baobabs font donc preuve de résilience. Nous aussi, communauté locale, nous sommes amenés à être résilients pour survivre, la solution est à notre portée, car elle est sous nos pieds. 

J’explique ensuite à Bendray que, soucieux de la situation alarmante, régnant dans la région, la résilience est la raison de ma présence en ce lieu. En effet, mon séjour à Lambokely est une descente préliminaire d’imprégnation et diagnostic du milieu dans le cadre de notre initiative appelée Taniala Regenerative Camp. « Taniala » est une combinaison de deux mots malagasy, « tany » qui désigne à la fois « le sol » et « la terre », et « ala » qui signifie « la forêt ».

Avec notre initiative Taniala Regenerative Camp, nous voulons être proactifs et contribuer à l’arrêt du cercle vicieux déforestation-désertification-migration-déforestation dans la zone grâce au renforcement de la résilience des communautés locales et de leur écosystème. Nous prévoyons d’établir un camp de base pour pratiquer et promouvoir de bonnes pratiques agricoles régénératrices adaptées au contexte local du village de Lambokely en particulier et de la région de Menabe en général. Taniala Regenerative Camp mettra en relation les communautés locales avec des praticiens, des scientifiques et d’autres personnes impliquées dans la restauration des paysages. Nous adoptons l’approche « Resilience design » qui s’inspire de la permaculture et intègre des pratiques d’agroécologie, d’agroforesterie, de gestion des eaux de pluie et de restauration écologique. 

Je présente ces concepts à Bendray et à ses amis en précisant qu’il est indispensable de prendre la forêt comme modèle. La forêt naturelle produit de grands arbres et des plantes alimentaires sans que nul n’ait besoin d’arroser, d’apporter des engrais, d’effectuer des traitements avec des produits phytosanitaires. Son sol est toujours couvert, elle est constituée d’un mélange d’arbres et d’autres plantes, elle abrite de la biodiversité jusqu’à son sol. Notre système de production doit se calquer sur la forêt. La résilience, c’est concilier production agricole et régénération d’écosystème.

Aménagement de la première parcelle agroforestière sur le terrain de notre premier camp à Lambokely en Janvier 2022. Photo: Tahina Roland Frédéric
Première étape pour la réalisation de la première parcelle agroforestière à Lambokely : mise en place de baissières et de plates-bandes pour la plantation d’arbres. Photo: Tahina Roland Frédéric
Bendray admirant l’évolution des rangées d’arbres qui constitue notre premier système agroforestier. Photo: Tahina Roland Frédéric
Mes échanges avec Bendray sur le rôle des espèces plantées. Photo: Tahina Roland Frédéric
Initiation de Bendray et de ses amis à la technique de régénération naturelle assistée. Photo: Tahina Roland Frédéric

Notre approche permet d’agir à différentes échelles allant d’un jardin à un paysage entier en passant par le niveau champ d’exploitation et communautaire. Nous avons commencé notre initiative par l’installation de deux jardins-forêts alimentaires sur le terrain de Bendray et d’un autre ami. Sachant que la permaculture véhicule une culture de la permanence, nous pouvons inculquer cette culture aux communautés locales issues de la migration via la mise en place de plates-bandes permanentes. 

Ce qui se passe dans la forêt est reproduit à une échelle réduite grâce aux plates-bandes de ces jardins agroforestiers. Bendray et ses amis observent et apprennent. Ils comprennent l’importance de la matière organique ou de l’humus pour le sol grâce au paillage. Par l’association des cultures, ils apprennent l’importance de la biodiversité pour la résilience et l’optimisation de l’espace disponible. Ils ont été également initiés à la culture de plantes fertilisantes pour enrichir leur sol.

Initiation de Bendray à l’importance des arbres légumineux locaux dans les systèmes agroforestiers et dans la fertilisation du sol. Photo: Tahina Roland Frédéric
Opération de plantation de  jeunes plants de baobabs avec la famille de Bendray. Photo: Tahina Roland Frédéric
Bendray au milieu de sa production de jeunes plants, dans sa première pépinière. Photo: Tahina Roland Frédéric
Plantation d’arbres en plein champ de culture avec des membres de la communauté locale. Photo: Tahina Roland Frédéric
Une équipe multi-générationnelle mobilisée pour la restauration des terres dégradées. Photo: Tahina Roland Frédéric

Nous avons également produit, dans notre première pépinière, différentes espèces d’arbres fruitiers et d’arbres fixateurs d’azote dans l’optique de les intégrer dans le système agricole local et pour nos futures forêts-jardin. L’arbre n’est pas l’ennemi à abattre, il est notre allié, il nourrit le sol et nous nourrit, nous les personnes.

De telles actions locales sur le terrain sont à encourager et à développer dans le cadre du mouvement mondial pour la restauration des écosystèmes. La proximité de ces actions leur confère la qualité de catalyseur porteur de changement de comportement durable au sein des communautés. Rappelons-nous également une citation de l’anthropologue Margaret Mead « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis puisse changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé ».

Avant de terminer, souhaitez-vous peut-être me connaître ? Je suis Tahina Roland Frédéric, jeune agronome forestier malagasy et président cofondateur de l’association Taniala Regenerative Camp. Je suis sélectionné « Restoration Steward des Terres Arides 2023 » par le Global Landscapes Forum. Nos maîtres mots sont « sol vivant et communauté prospère ». Le sol est au cœur de notre initiative, car c’est lui la solution sous nos pieds. C’est tout simplement la « SOL-ution » pour l’humanité.

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